Dalle Dans L'eau
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LES VIEUX DE LA VIEILLE

Une pub alimente une réflexion

La semaine dernière, lors d’une matinale sur TF1, l’annonce publicitaire d’un nouveau magazine intitulée « VIEUX » a capté mon attention. Je ne l’ai pas encore lu, je me suis pour le moment contentée de la présentation qui en a été faite et de quelques compléments d’information sur Internet. Ça n’empêche pas d’alimenter une réflexion, sans a priori ni procès d’intention, juste un pré-commentaire, surtout que ça tombait pile poil avec mes réflexions des jours derniers.

La bonne idée qui interpelle est bien de mettre en avant le dynamisme et la capacité d’activité des vieux, avec comme alliée primordiale l’expérience.

Pour le côté nostalgie des années 80, ouf ! Merci de n’y avoir pas pensé !

Ma première réflexion sur ce magazine a été de me dire que j’espérais que pour une fois, ça ne se cantonne pas à vanter uniquement les success stories de personnes vieillissantes dont on a déjà suivi tout du long la fabuleuse évolution… ou un truc du genre ! En d’autres termes, on prend les mêmes, avec 30 ou 40 ans de plus, et on continue.

On fait juste dans la retraite dorée avec une pointe de bonheur-ricoré, même si maintenant chacun sait que riche ou pauvre, parfois les malheurs et les douleurs peuvent finalement se rejoindre !

Digression sur le quidam

Parler des quidams est sûrement moins fun que de ressasser le succès des gens célèbres. Le quidam fait moins rêver … quoique… En fait, c’est juste un positionnement d’idée basée sur la réussite sociale mais avant et surtout, c’est une construction de communication-marketing.

Voilà, c’est ça, c’est juste du marketing. On nous vend un univers à part, ça attire, mais pour le coup, c’est quand même bien un autre monde, une autre famille : la famille de la télé, la famille des gens célèbres, la famille des gens riches. Et on nous dit, halte au communautarisme, alors qu’on est en plein dedans.

Ajoutons aujourd’hui la famille des influenceurs, ceux qui ont fait de la télé et qui sont devenus riches et célèbres…. Bref ! Marketing ! Chiffre d’affaires. Argent. Argent… Et pour le terme famille, on finira par trouver mieux !

Le bout de ses rêves

Une personne m’a récemment envoyé une vidéo censée me remonter le moral et me booster. Je n’en ai pas regardé la totalité car ça m’a rapidement gavée. Le message général était : « Il faut aller au bout de ses rêves », « on n’a pas le droit de briser les rêves d’une personne », « on ne doit pas renoncer à ses rêves ». J’y crois dur comme fer à toutes ces belles phrases, sinon je ne serais pas en train d’en parler.

C’est maintenant que vous allez comprendre pourquoi je vous ai parlé des vieux et des quidams…

J’ai à peine vu cette vidéo, que déjà ça s’est bloqué dans mon cerveau, sur l’idée que oui, y a pas d’âge pour rêver, oui faut jamais lâcher et y croire, mais arrivé à un certain âge, faut bien le reconnaître, si on est toujours en mode rêve, c’est qu’il y a quand même bien à la clé un échec, ou pour le moins un non-aboutissement. Mais ça aussi, c’est à la fois vrai et faux, faudrait voir au cas par cas.

Disons qu’à partir d’un âge certain, la formulation doit peut-être être revue. On n’est plus en mode « croire en ses rêves », on est plutôt dans le « analyser le degré de réalisation de ses rêves ».

Estimation de rêve

Il est peut-être temps alors de revoir certaines estimations à la hausse ou à la baisse.

A la hausse

Du style « j’ai toujours rêvé de faire du théâtre mais je n’ai jamais osé et je n’ai pas de talent ». Ça, c’est facile. Fonce. Trouve un club de quartier, une association et vas-y ! Fais-le. Et que tu aies ou non du talent, on s’en moque. Les gens qui t’aiment seront toujours contents de te découvrir le jour de la représentation de fin d’année. Ils seront heureux de te voir épanoui(e), même si tu as joué ton plus mauvais rôle.

Je sais, pour certains, c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais sur ce coup-là, tu es seul face à toi-même et à ta décision de faire ou ne pas faire, d’où cette notion de facilité.

Quand les choses dépendent uniquement de toi, alors c’est jouable, tout est jouable.

A la baisse

Inversement, on peut devoir revoir ses rêves à la baisse. Exemple : « je rêve d’écrire », option « je rêve de devenir écrivain riche et célèbre ». Oui, mais… je n’ai jamais rien fait pour. Ça peut être déprimant de voir filer un rêve qui perdure depuis le plus jeune âge. Surtout quand le rêve s’accroche, parce que, croyez-moi, ce genre de truc a la dent dure. Ça fonctionne presque en mode obnubilation.

Pourtant, si le rêve perdure encore et ne se réalise pas, et à moins de consentir à s’exposer à tous les regrets qu’on peut imaginer, il faut peut-être penser à revoir à la baisse, dans ce sens où après avoir extirpé le réalisé du non-abouti, il faut réévaluer son rêve, le redoser.

Ça ne veut pas dire oublier son rêve, s’asseoir dessus, renoncer, non ! Ça jamais … Ça veut dire le remettre à hauteur de réalité. Rêver à ce qu’on pourra un peu toucher, à ce en quoi on pourra toujours croire. Ne pas se laisser aller aux illusions vaines et inutiles.

Par exemple. « Rêver d’écrire ». Cool ! Tu prends un papier, un crayon et tu t’y colles.

Comme vous l’avez sûrement compris, je me suis utilisée comme cobaye et ce rêve dont je me sers à titre d’exemple, fait partie de ma collection personnelle, donc j’en profite pour vous faire mes confidences.

Je reprends le sujet : « Rêver d’écrire ». Je n’ai fait que ça écrire. Je ne l’ai pas juste rêvé. C’est un fait : des romans, des pièces de théâtre, des articles, toutes les idées (ou presque) qui me sont passées par la tête, je les ai écrites, même inventer des règles de jeu, ou encore écrire des discours d’adieu.

Rêve : « rêver d’écrire », je coche. C’est fait.

Alors, c’est quoi, le problème ? D’où vient l’insatisfaction ?

Constat d’insatisfaction

« Ecrivain riche et célèbre ». Serait-ce cela qu’il me faut revoir à la baisse. Oui, de toute évidence. Mais réellement, ça veut dire quoi, ce genre de rêve ?

Riche ? Bon, à la limite, c’est sans intérêt. Ici, du moins, dans cet article. Pourquoi ? Pour deux raisons. La première et la plus importante pour moi est que je ne crève pas de faim. Pour la seconde, c’est que l’extrême richesse n’est pas le critère prédominant pour la famille à laquelle j’appartiens, celle du peuple. La famille des Quidams. Inutile que je rajoute (mais je vais le faire quand même…) que ça ne veut pas dire que je n’«aime» pas l’argent, bien sûr !

Je crois cependant que l’intérêt d’être riche ou très riche est d’avoir la possibilité de réfléchir à comment se débarrasser de cette richesse, en l’utilisant pour soi bien-sûr, mais aussi et surtout en la donnant ? Oui, ça, c’est un doux rêve.

Disons-le, d’autres le font déjà très bien, alors c’est moins grave si je n’aboutis pas moi-même sur le sujet.

Donc perso, je me réjouis d’avoir juste une chose à donner. Et cette chose vaut tout l’or du monde : c’est mon temps. A partir d’un âge certain, ce temps est très précieux. A 30 ou 40 ou 50, on ne compte pas pareil.

Proportion d’ego

Reste le fameux «célèbre». « Rêver d’être célèbre ». Ce rêve m’a hantée. Faut dire que je suis née, réservée, pas timide mais timorée, pas toujours à l’aise en public, assortie d’une éducation où on ne se met pas en avant, on ne fait pas de trop grands rêves (il y a eu un loupé dans le moule), et probablement aussi un manque de soutien, de connaissance de la situation et des enjeux, et d’encouragement de la part de mon entourage.

A tout ça, on y a accolé un ego non proportionné ! Vous me suivez toujours ?

Le dilemme est là. Ce n’était pas cohérent, alors ça n’a pas suivi.

En résumé, de gros rêves mais un tempérament qui ne suivait pas, en plus d’une absence totale du sens des réalités. On rêve mais on n’agit pas. On rêve mais on ne fait pas ce qu’il faut pour aboutir.

Je vous donne un autre exemple, j’ai commencé mes études supérieures sans faire de lien avec un futur travail, sans penser plan de carrière, ou salaire, sans aucune projection. Je n’y ai pas du tout réfléchi. A la limite, faire des études supérieures permettait juste de devenir professeur, c’est tout. Ça n’allait pas au-delà. Je n’ai jamais employé les mots carrière et ambition. Compliqué et difficile dès lors, de poser des bases pour intégrer ses rêves à la réalité et les faire aboutir, car finalement, je n’avais que ça : des rêves.

Des rêves magnifiques, très forts qui m’ont donné la pêche, l’envie, le dynamisme, la force d’y croire, qui ont décuplé mon énergie, mon grain de folie, mais ne m’ont jamais mis un pied dans la réalité.

Rêve à la carte

Ceci n’a pas empêché d’autres victoires, avec l’aboutissement d’une part de rêves. Peut-être moins éclatants, moins exubérants, mais je m’en rends compte en l’écrivant, non pas moins primordiaux, exaltants, vitaux. Il s’agit de tous ceux cultivés en jardin : je sème et je récolte. De ce côté-là, j’ai eu beaucoup de chance, la moisson a été bonne.

L’intérêt majeur de ce mode de fonctionnement, le rêve comme boussole de la réalité, est que j’ai vécu, que je vis encore, ma propre vie comme un cinéma, un film que je regarde. Ça m’a aidée dans les moments difficiles qui m’ont confrontée à des réalités qui me dépassaient. Ça m’a rendue plus efficace car j’étais déjà au-delà des normes et surtout ça a éloigné, ou plutôt très largement atténué, toute notion de séquelles.

Il manque donc à l’appel de la victoire l’accomplissement direct de certains rêves profonds. Je dis direct, car il y a aussi ces quelques rêves qui se réalisent par personnes interposées… mais c’est un autre sujet. Ne brûlons pas les étapes.

Quant à la volonté de voir aboutir son ou ses rêves, on a aujourd’hui une véritable approche et compréhension du sujet, on en parle beaucoup sur les réseaux où il y a pléthore de vidéos de coaching de vie et conseils en tout genre. Si vous avez un rêve et que vous voulez le voir aboutir, il faut être actif et réactif, et intégrer votre rêve dans la réalité. Le passer en mode projet.

En mode vieux

Arrivé à un certain âge certain, il faut réajuster ses rêves non encore aboutis et continuer de se laisser guider par eux. Pour cela, il n’est même plus indispensable de croire en ses rêves, il faut juste continuer et faire ce qu’on peut.

Revenons quelques instants sur le terme employé par ce nouveau magazine cité plus haut, celui de VIEUX. C’est cool que d’employer ce mot, au lieu de celui, jugé plus convenable, de SENIOR. C’est agaçant que de devoir expliquer et justifier l’emploi de ce terme « vieux », en ajoutant une notice du genre : être vieux, ça ne veut pas dire être grabataire. Que de dire qu’on est vieux, ça ne veut pas dire qu’on déprime, c’est juste un fait. Qu’être vieux, ça ne veut pas dire qu’on s’accroche à vouloir rester jeune.

Etre vieux, c’est aussi se retourner, voir qu’il y a un bon bout de chemin déjà parcouru, puis regarder devant et se réjouir qu’il y en ait encore à sillonner.

C’est aussi être capable de mesurer ce chemin parcouru, et puisque nous parlions de rêve, c’est se réjouir de toujours ressentir ces envies de faire.

Le problème est sur le risque de perdre la saveur des choses, exactement comme pour la nourriture.

Démarrage de turbine

Il y a deux-trois semaines, j’ai « déprimé ». Ça m’a un peu prise par surprise, même si j’aurais bien dû m’y attendre, suite au décès d’une amie très chère. Sa disparition a fait ressurgir tous mes morts, et ma mère en particulier.

Quand je suis comme ça, je remets tout en question. Les discussions avec moi-même deviennent houleuses, sans compter que je suis un peu plus grognon envers mes proches.

Je ressasse, je rumine, je me complais et me noie dans ma sensation d’échec. Je me répète que je n’ai rien fait de ma vie. La dernière fois, ça s’est soldé par un « t’as fait trois gosses et c’est tout. Comme tout le monde, quoi ! ».

La petite voix ressurgit alors. Est-ce parce que j’ai attaqué la mère qui est en moi ? Peut-être !

Toujours est-il que la petite voix s’amplifie et remet en place mon propre jeu de cartes. Et on est reparti… Des réussites et des échecs ; la boucle se forme et se déforme.

Ce n’est pas tourner en rond, non, c’est plutôt comme une turbine qui alimente un moteur en énergie. Mais… oui, dans cette histoire, il y a un mais…

Goût de vie

Mais…

A force de ressasser, de douter, de me matraquer moi-même, j’ébranle l’édifice. Je prends le risque de le fragiliser. Je mutile mon énergie.

Je remets du poids sur mes épaules quand j’ai passé tant de temps à me libérer de mes chaines, physiques ou mentales, de celles qu’on trimbale toute une vie. Se libérer de ses chaines, c’est surtout et avant tout, se libérer de leur poids, pas forcément des liens qu’elles présument. Le poids, c’est ce qui empêche d’avancer, jeune ou vieux.

Ici la notion d’âge revient en force. Ai-je du temps à perdre pour de telles fioritures ? car, je le comprends aujourd’hui, toutes ces ruminations s’attaquent à l’essentiel : l’envie de vivre, le goût de la vie.

Et ça, c’est ce qu’il faut protéger envers et contre tout.

Saveur de rêve

En nutrition, le goût est le sens qui nous permet de reconnaître les saveurs.

C’est la même chose pour la vie qu’on se fait et les rêves qu’on alimente et qui alimente la vie.

Si je me laisse aller sans fin à la rumination, à la remise en question, à la déprime, au manque d’énergie, ma vie prend de cet arrière-goût qui coupe l’appétit.

Je m’éloigne de mes appétences.

Je fais, je fais, mais le goût s’estompe. Et ça, c’est risqué parce que c’est le pire.

On évoque les chemins de vie, on en oublie toutes les contre-allées, les chemins de traverse, les raccourcis, toutes ces voies qui ont permis d’avancer envers et contre tout, qu’on soit dans la réussite ou dans l’échec, il a bien fallu trouver la bonne route pour arriver là. Ce qui un peu naïvement, je le concède, tendrait à prouver qu’il n’y a rien de perdu !

Probablement que ces bouts de rêves, quels qu’ils soient, qui persistent et s’accrochent, ces idéaux qui se forgent et perdurent envers et contre tout, et tout autant nos douleurs, nos désespoirs et nos chagrins qui ont imprégné chaque fibre de nous, tout cela contribue à préserver la saveur, générer de ces molécules sapides qui donneront de ce goût un peu particulier à la vie. Un petit goût de bien-être et de contentement. Juste ça. Un instant de dégustation de vie.

Il en faut, car le goût de la vie, c’est y croire, s’enthousiasmer, se donner à fond, vouloir, et d’autres encore.

En conclusion

Jeunes et vieux, il en faudra encore et toujours de cette volonté à vivre, à rêver et à continuer de faire, construire et partager, car la souffrance et la mort règnent en ce monde.

Nos enfants et nos petits-enfants devront apprendre à lutter contre, et sûrement vivre avec, l’extrême bêtise qui gonfle et gonflera jusqu’à implosion, de cette erreur de la nature qui mène à la violence et engendre le chaos.

Mais n’oublions pas qu’au-delà de nos rêves individuels et de notre capacité à vivre bien, il y a la volonté de continuer à générer de l’espoir d’un monde meilleur.

Car si plus personne ne croit en ce monde meilleur, alors… comment pourrait-il en être autrement ?

Dans VIEUX, il y a VIE et EUX.

AC Madenn

Versailles, 3 juin 2024

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