GENÈSE D’UN ROMAN AVORTÉ
1997
Je suis une jeune femme, mariée, trois enfants, propriétaire d’une librairie à Paris. Le couple va mal, même très mal. Les difficultés s’amoncellent et les mésententes se font plus vives, plus violentes aussi. La librairie part en déconfiture. Quelques clients passent la porte dans la journée, quelques ventes mais pas de quoi se relever ni éviter la faillite.
Par contre l’intérêt de tout ça, c’est le temps.
Mes enfants sont à l’école ou à la maison avec leur père, moi je suis là, pour une très longue journée à guetter et attendre le client. Non ! Même pas vrai ! Ni je le guette, ni je l’attends, le client. Je m’en contrefiche. Limite ça m’ennuie quand il rentre dans la boutique car tout ce temps que j’ai devant moi, qui n’est qu’à moi, c’est avant tout du temps pour écrire. Et écrire quoi …
L’idée première était une nouvelle, qui ne s’est arrêtée que quand elle fut devenue roman, et de roman saga. Chenille, chrysalide, papillon, un truc dans le genre.
Et que raconte cette nouvelle devenue roman et finissant saga ?
Elle commence par un échange entre deux amies au sujet de la mixité dans le couple et se fond sur le constat d’un échec, la désagrégation conjugale. Pourquoi s’arrêter là ? J’ai tant de temps devant moi, tant de douleurs aussi, de peurs, de doutes et de besoin d’ailleurs. L’histoire prend son envol.
Clara puise dans mon histoire pour se créer un personnage. Jusque-là, c’est du presque normal, un cliché d’écrivain. Clara a un mari et des problèmes conjugaux, deux enfants et une librairie qui court à la faillite.
La vie cérébrale se libère, l’imagination se met en route et la bascule s’opère enfin pour m’alléger d’un poids trop oppressant, je ne veux rien avoir à faire avec ce personnage. Il n’est pas non plus question de la brider, ce que je ferais allègrement si je la laissais coller à ma peau.
Un premier roman est écrit.
La librairie, la vraie, celle de la réalité, ne va pas mieux, c’est de pire en pire. Mais pour moi, ce n’est pas plus mal, je rempile pour un deuxième volume.
Livre 2. Clara a vendu la librairie. Le divorce est en cours. L’ex-mari a emmené les enfants en Algérie sans accord préalable avec la mère. Il ne souhaite pas revenir en France. Clara est folle d’angoisse, rongée par l’inquiétude. Elle multiplie les actions pour récupérer sa progéniture, sans résultat. Au bord du désespoir et de la renonciation, une proposition lui est faite, qui nécessite une somme d’argent qu’elle n’a pas. Le désespoir atteint un point culminant quand Antoine, l’autre héros, refuse de l’aider. L’imbroglio recommence.
On retourne à la librairie, la réelle. Un petit coup d’œil dans la rue, personne. Un autre dans la boutique, personne. On s’attaque au troisième volume.
Là je me fais plaisir. Durant mon adolescence, j’avais créé un personnage, une femme aventurière, véritable amazone (avec ses deux seins) qui a connu la souffrance, n’a peur de rien et s’engage dans de dangereux combats. Elle s’appelait Dahima de son nom d’aventurière, sa véritable identité était Kate Dolson. Dans un autre livre (Amateurs de vie), je n’ai pas résisté et ai utilisé le nom de Dahima. Ok ! Détail mais quand-même, il a son importance, pour moi du moins. Je renonce à Dahima.
En tome 3, arrive donc celle sur laquelle je ne croyais jamais être capable d’écrire, j’ai nommé Kate Dolson. La belle, la magnifique Kate Dolson, cheffe d’un groupe de mercenaires, à majorité féminine, guerrière impitoyable et redoutable, légende vivante.
Quatre groupes sont constitués : le groupe d’Antoine, celui de Clara, celui de Kate Dolson et le groupe des Puissants qui ne recherchent que le pouvoir et la richesse, ceux qui veulent conquérir le monde, à commencer par l’Afrique car selon eux, l’Occident et les Etats Unis sont déjà conquis.
Un véritable terrain de jeu.
1998
A la fin du 2ème trimestre 1997, il y a trois volumes.
Le réveil à la réalité est violent. Pour une raison qui m’échappe à moi-même, je donne les manuscrits à celui qui deviendra mon ex-mari.
C’est une première erreur. J’imagine qu’il va sourire, comprendre que je puisse utiliser des éléments de notre vie, que je me serve de lui pour créer une image de mari, certes peu flatteuse dans le contexte. J’ai la naïveté de croire qu’il va percevoir qu’il est aussi dans les traits du héros, le fameux Antoine. Le personnage est manipulateur, séducteur, arnaqueur, mais il est fort, solide et capable d’aimer.
Mea culpa ! Je comprends aujourd’hui que c’était loin d’être évident. La confusion fut explosive.
La dispute est inévitable, l’incompréhension aussi. La réalité et la fiction se confondent. Trop de réalisme pour un roman d’amour, trop de détails. Ça soulève des interrogations, finalement ça rend fou. Jalousie. Paranoïa.
Il y a l’accident. Les manuscrits étaient posés sur le siège passager. L’un dira que c’est de la faute de l’autre, qu’il était tellement obnubilé qu’il n’a pas su éviter le motard, l’autre espérera que ce n’est pas ça, qu’elle n’y est pour rien. Que chacun doit assumer ses responsabilités …
Il y a le divorce. Se faire accuser devant le juge aux affaires familiales d’être mauvaise mère, dépravée sexuelle et écrivain pornographique n’a rien d’engageant. On occulte. C’est ce que je fais de mieux. Je n’ai pas de séquelles, ce n’est pas maintenant que ça va commencer.
18 Août, l’enlèvement parental devient une réalité. Celui qu’on vit. Celui-là fait mal et marque une vie, ou plutôt les vies.
Que dire ! Si j’ai écrit ce scenario dans le deuxième volume, c’est sûrement – en fait je le sais, c’est sûr – parce que je savais déjà qu’en cas de séparation, ce risque était on ne peut plus probant.
La sensation est étrange quand dix ans plus tard, je relis ce roman qui racontait déjà ce que finalement j’ai vécu quelques années après.
Le parallèle avec la fiction s’arrête là. Mon histoire n’a rien à voir avec celle de Clara et je n’ai pas eu les réflexions auxquelles elle s’est livrée, ni commis les actes attribués à l’héroïne.
A la question, se peut-il que le roman ait incité au passage à l’acte ? La réponse est non.
Ceci étant dit, occultons ensemble.
2007
Ma vie a retrouvé son cours, plus exactement elle a repris son propre cours et coule de son début vers sa fin, de sa source à sa mer.
Je sors à nouveau les manuscrits du placard. Je les transforme en tapuscrit. Je corrige. Je me moque de moi-même, de ma naïveté, de mon côté « cul-cul la praline ».
Comment peut-on écrire que l’héroïne qui reçoit le héros Antoine, bel homme, richissime, mystérieux, le héros de roman d’amour par excellence, même s’il est arnaqueur, manipulateur et séducteur. Nous disions donc qu’elle le reçoit et … glisse à ses pieds une paire de charentaises. Oui, j’ai honte. Je m’étais dit que je ne raconterais jamais cela mais il faut assumer.
Parfois, les expériences des uns sont autant de leçons à éviter pour les autres. Je crois bien que j’ai déchiré ce cahier. Ne pas laisser de telles traces. Oui, c’est ça ! La honte !
Je relis, je dactylographie à tout va. Je ne résiste pas. Un volume 4 s’écrit le soir très tard, après le travail.
Quand j’écrivais le volume 1, mon ex-belle-sœur, venue d’Algérie, passait me chercher à la librairie. Nous discutions dans le métro. Dès que la conversation s’arrêtait, je repartais dans mes réflexions, obnubilée par le roman. C’est ainsi que je l’ai oubliée dans le métro. Elle me dit plus tard qu’elle me vit descendre de la rame et partir en flèche dans les couloirs sans me retourner, sans la chercher du regard. A Châtelet, aux heures de pointe, ça ne pardonne pas. Tu perds la personne.
Lors de l’écriture du volume 4, c’est la même. Obnubilée, en permanence en train de chercher une solution, une suite à l’histoire en cours. A ce moment-là, je travaille à la Direction Financière d’une SSII. Je participe à des réunions de gestion. Je n’écoute plus ce qui se dit, réussis à intervenir quand il le faut mais c’est tout juste. De leurs discours, je n’entends quasiment rien. Je me demande comment Gus, mon sniper préféré, va pouvoir se sortir de la situation dans laquelle il est ? Comment il pourrait installer son arme et atteindre sa cible ?
Mon amie C., confidente et lectrice number 1, suit l’histoire au fil de l’eau. Je lui raconte, elle donne son avis, critique parfois, émet des doutes. Nous rions beaucoup. Pour faire face et répondre à sa critique, je crée un personnage Abby Yourn. C. a maintenant son avatar. Au gré de ma fantaisie, Abby évolue, agit, au grand dam de C. Ça s’appelle la vengeance d’une amie qui t’aime. Mais ça donne un super personnage. Spécialiste des comportements animaliers, Abby décrypte l’humain comme elle le ferait d’un tigre en train de chasser ou d’un loup au centre de sa meute.
Le volume 4, on s’en doute ici, mène au 5.
2017
5 tapuscrits. Les erreurs et les faiblesses me sautent aux yeux. Ce qui pourrait me rassurer est qu’à la relecture, j’attends parfois une réaction du personnage, une suite dans l’histoire, je crains d’être déçue… et non, ce que j’attends arrive. Ça pourrait paraitre logique et évident parce que c’est moi qui lis et c’est moi qui ai écrit. Mais non ! Je ne crois pas que cela soit si logique que ça. Alors je me dis que pour le moins, je n’ai peut-être rien fait pour éditer, mais j’ai écrit le livre, que dis-je les livres, que j’avais envie de lire. Ce n’est déjà pas si mal !
Durant cette nouvelle et dernière décennie, je m’attelle à corriger le tome 1 mais ce n’est pas suffisant. Je reprends 2, puis 3, puis 4 et 5. Je me décide enfin. Il faut des liens. Il est frustrant de ne voir apparaitre Kate Dolson et toute sa bande qu’en tome 3.
Intégrer un groupe de personnages dans deux tomes déjà existants est une délicieuse prise de tête, très prenante, trop sûrement. Bon ! C’est fait.
J’ai rajouté un nouveau personnage et une nouvelle intrigue dans les premiers tomes. Il a bien fallu mettre les deux derniers livres à niveau.
Reste un dernier point, et non des moindres. Quand j’ai commencé le tome 1, en 1997, j’ai volontairement été très descriptive quant aux scènes de sexe. Je voulais ce livre comme une libération. Que le sexe et l’amour soient confondus. Que la pornographie ne soit pas l’apanage du salace. Je voulais décrire les sensations que ressent une femme, parler du plaisir, désinhiber.
A ce moment-là, c’était assez avant-gardiste. Depuis lors, avec tout ce qui a été fait en littérature et au cinéma, je pourrais presque passer pour une enfant de chœur.
Je n’assumais pas le fait que les quelques personnes à avoir lu le tome 1 n’en retiennent que l’aspect « pornographique ». Je me marre car elles n’ont pas lu les autres livres, et moins encore le tome 5.
Pour la petite histoire, au tome 3, le sexe disparaissait, à cause de C. qui avait bien tenté de me dire de faire attention à ce qu’il n’y ait pas trop de scènes de sexe. Représailles. En tome 3, je n’en avais mis aucune et elle avait trouvé cela bien dommage.
Aujourd’hui, je l’avoue, je n’assumerais pas de publier cette littérature. Je ne veux pas de cette image et ce n’est pas ce que j’ai envie de laisser, pour le moins à ma famille. J’ai mis beaucoup de temps à me décider à le faire mais la décision a été arrêtée. J’ai corrigé, et je peux le dire, il n’y a plus un poil de c… qui dépasse. Rien. Suggestion. Suggestion. Rien de plus. Et c’est aussi bien.
En final, chaque décennie, je vire quelque chose. Une fois, c’est les charentaises, la fois suivante, c’est le c..
2023
J’avais commencé par vouloir écrire une histoire d’amour, une sorte de fantasme. De beaux héros et héroïnes, très forts, très beaux, mais aussi très cassés, forts et faibles, torturés, perdus … de beaux héros pas forcément propres sur eux.
Peu à peu, j’y ai mis tout ce que me passait par la tête, de mes idées, de mes convictions, de mes fantaisies. La réalité continuait d’alimenter la fiction. Une personne qu’on croise, un échange. Un souvenir d’enfance. Mes amis, mes proches. Tout a été utile.
Ces romans sont des romans d’amour. Classables en romance féminine.
A mon grand dam, mes quelques lecteurs ont été surtout sensibles à la sensualité, ou plutôt à l’excès de sensualité, à ce qu’ils ont jugé pornographique. Les lecteurs masculins ont apprécié, et les féminins ont trouvé qu’il y en avait trop. Moi, ça m’a un peu bloquée.
Ce qui m’a surtout déçue et m’a fait accepter l’idée que je me trompais est que personne ne parlait de la trame de fond des romans.
Des histoires d’amour, certes, des arnaques, oui, mais nos héros sont confrontés à une société qui accepte la misère humaine, le racisme, l’exploitation de l’être humain par d’autres humains charognards. Mais ça, personne n’en faisait jamais mention.
Bilan, je ne sais pas si sur ce sujet, je suis allée trop loin ou pas assez.
Au début de cette histoire de manuscrit, en 1997, j’avais rencontré des congolais qui m’ont parlé de leur pays. J’ai fait quelques recherches. J’ai toujours été attirée par l’eau, par l’idée de l’eau, de tout ce qu’elle charrie d’idées et de bien-être. Ma référence sur le sujet, c’est le Siddhartha d’Hermann Hesse. Tout ça pour dire … le fleuve Congo. Je l’ai rêvé, ce fleuve, jusqu’à arriver aux barrages Inga. Et la trame s’est construite.
Aujourd’hui, je ne sais pas si j’ai raison ou tort de faire mention du Congo dans ce genre de roman, de parler de la misère humaine en me servant de la romance, ou le contraire de parler romance en me servant de la misère humaine (c’est encore pire).
Compte-tenu de la situation politique et économique de la RDC, c’est un vrai questionnement. J’ai un profond respect pour tout un chacun et une angoisse viscérale de blesser quiconque.
Je ne sais pas si c’est bien d’ironiser pour dénoncer la souffrance parce que je sais que quand on souffre, on n’a pas forcément envie d’en parler de manière détournée, moins encore ironiquement.
D’ici à ce que 2023 signe la fin de la mention de la RDC, de Inga, du fleuve Congo, des congolais dans cette saga, on n’en est pas loin. Le premier volume qui s’intitule Pleurs de roses pour Inga pourrait finir en Pleurs de roses pour Gani. L’Afrique deviendrait le Continent. La RDC, la RCF, la République Continentale Fédérale. Et ce fleuve Congo qui m’a fait vibrer l’imagination serait peut-être le Gonc. Qui sait ! L’avenir le dira bientôt.
On a donc les charentaises, le sexe, maintenant la RDC. Il va être temps que je publie sinon il ne restera bientôt plus rien de cette saga.
Epilogue
Comment d’avant-gardiste en 1997, on devient has-been en 2023 faute d’avoir utilisé ses capacités ou un truc du genre. Voilà bien une problématique de dossier purement scolaire !
C’est la vie qui se charge de répondre à ces questions-là. Soit qu’on puise son imagination dans le regard que l’on porte sur la société et sur les uns et les autres, on extrapole, on analyse les situations, on projette et on écrit sur des choses qui se produiront ou pas ; soit qu’on se laisse voguer dans l’imaginaire et on va jusqu’à la fantaisie.
En 1997, le monde d’Antoine Di Elcour est celui d’un monde numérique parallèle, de l’argent qui coule à grands flots pour ceux qui en ont compris les rouages et vient se perdre dans des réseaux dont tous, hormis une poignée de puissants, ignorent l’existence. Cette année-là, on ne parle pas encore de monnaie virtuelle, du moins chez nous, le commun des mortels. Tout ça, on sent bien que ça pourrait arriver, mais ça parait si loin.
En 1997, Antoine est richissime, connu dans les hautes sphères de la finance et du pouvoir, mais nul ne sait le trouver, ni physiquement, ni virtuellement. Il est capable de ne laisser aucune trace numérique de lui. Il existe, il vit comme n’importe quel quidam mais n’a aucune identité traçable. Je ne sais pas où on en est aujourd’hui sur cet aspect des choses.
Les méchants alias les puissants sont des hommes d’affaires qui au-delà de l’extrême richesse, rêvent de pouvoir et de domination. Les lobbying sont, comme aujourd’hui, très actifs, très pervers, très sectaires, en particulier l’industrie pharmaceutique qui n’en finit pas de jouer de la vie et de la mort.
Je vais m’arrêter là sur ces sujets. Chaque héros ou presque a un pouvoir humain. L’empathie excessive qui permet de comprendre et anticiper des réactions. Un quotient intellectuel largement supérieur et largement exploité. L’analyse des comportements humains au travers d’un filtre animalier. La retranscription d’une compréhension sur un plan de décoration d’intérieur. Une affectivité captivante et séductrice. Un courage à l’épreuve des coups. Oui, j’ai envie de parler de tout ça mais si je m’emballe, je vais sombrer dans une espèce d’autosatisfaction néfaste.
Cette genèse arrive à son terme, tout comme il y eut un cinquième et dernier livre pour boucler la boucle. J’aurais tendance à penser qu’une fin doit couler de source, mais est-ce parce qu’on veut trop bien faire ou parce qu’on a peur de la fin ou que sais-je encore, parce qu’on n’en veut pas ? Perso, je trouve que c’est le moment le plus redoutable et le plus difficile.
Comme c’est un article et une conclusion, je vais me permettre le luxe et la liberté de ne pas chercher plus et m’arrêter là ! Tout net !
Versailles, Samedi 26 août 2023