BIENFAITS ET LIMITES DE L’AUTO-DENIGREMENT
- Tu as voulu écrire le « Journal d’une conne » ?
C’est l’exact commentaire qui m’a été fait après soumission des articles de ce blog pour une relecture et avis. Je n’ai pas cependant pas prévenu que je n’avais pas l’intention d’en corriger un mot pour les quelques raisons ci-après. D’une part je veux miser sur la spontanéité, donc les bévues, les erreurs, les mauvaises formulations font partie du lot. D’autre part, il est répété à tire-larigot au travers des « nombreux » sites que j’ai pu visiter pour effectuer ce travail tant d’écrivaine que de webmaster, que les gens ne lisent pas les articles. Les lecteurs ne lisent plus, ils survolent le texte, ils scannent. Alors, je le répète, vive la spontanéité et son lot d’indésirables. Ce qui ne veut bien sûr pas dire que j’ai l’intention d’écrire n’importe quoi, en me moquant des fautes, du style, voire même pourquoi pas des idées ! Non ! Il ne faut pas pousser ! Ces articles sont lus et relus, corrigés et recorrigés, puis advienne que pourra !
Ceci étant dit, la discussion qui a suivi ce commentaire n’était pas sans intérêt. Mon lecteur soulignait une certaine tendance à me dénigrer, à vouloir donner de moi l’image d’une conne ou encore l’impression de m’excuser de dire ce que je dis, de faire ce que je fais.
Je me suis défendue en expliquant que je pratiquais l’humour, l’ironie. Que même s’il y a des erreurs, des inepties, il ne faut pas être complétement « conne » pour faire ça, écrire ça, gérer cet espace, et tout le reste qui ne se voit pas de prime abord.
J’ai passé plusieurs jours à réfléchir sur cette idée. Elle tournait dans mon esprit, m’interpelait et je ne comprenais pas pourquoi.
Il y a une part de vérité dans ce commentaire au sujet du « journal d’une conne ». Cette forme d’auto-dénigrement dénote d’un manque de confiance en soi, d’une volonté de ne pas trop briller en se mettant trop en avant. Tout cela est très vrai. Je suis comme ça. Ça ne fait pas de moi quelqu’un de renfrogné, d’effacé ou de complexé. Pas du tout. Peut-être bien qu’il s’agit là de cette pudeur polie qui viendrait de mon éducation. Peu importe. J’ajouterai cependant que ça n’aide pas pour toute forme de carriérisme. A bon entendeur, salut ! Que cela serve à qui voudra !
Quand la question tournait en boucle, il m’est venu une autre idée qui m’amusait, qui me semblait bien présomptueuse et que j’ai soumise à deux personnes de mon entourage, en prenant bien des gants pour ne pas aller au-delà de ce qu’elle impliquait. Je ne pensais pas l’écrire ici mais finalement… pourquoi pas ?… J’espère ne froisser personne. Cette fameuse idée me poussait à penser que mon comportement « d’auto-dénigrement » était aussi une autre manière de me mettre à portée des gens qui me côtoient, a fortiori qui me lisent…. Aïe ! Pardon pour les dents qui grincent ! Pour les esprits qui se disent « Mais pourquoi se prend-elle, celle-là ? » Mais bon, je l’ai pensé, donc je le dis.
En final, ce n’est même pas présomptueux, que de dire que j’accorde de l’importance à me mettre au niveau des personnes que je côtoie. Ça ne veut pas dire que je les prends de haut, loin de là, c’est plutôt du domaine de l’écoute, de l’attention, de l’intérêt. C’est un regard attentif libéré de tout jugement, de toute attente, de toute contrainte.
A contrario, si quelqu’un me parle en me prenant de haut ou en essayant de se la péter, j’ai un réflexe inévitable de recul. Instinctivement, je fuis ces situations et ces gens.
Ce matin, j’avais une réponse toute bête, toute simple à ce questionnement déclenché par la critique de mon lecteur.
L’idée du journal d’une conne, vous l’avez compris, j’adhère, mais c’est une autre histoire, une autre dérive de l’esprit, sur laquelle nous reviendrons plus tard… ou pas.
Restons sur les limites de l’auto-dénigrement. Ce matin, un souvenir m’est revenu. Celui d’une période difficile de ma vie, les lendemains douloureux d’une situation de famille explosive. Le temps a passé et a laissé ses séquelles, notamment sur deux adolescentes border-line qui ont bien grandi depuis.
Elles étaient comme des furies lâchées en liberté, rebelles s’insurgeant contre les autorités, se faisant mal à elles-mêmes, chacune à sa manière. Elles se mettaient en danger. Que faire ? Que dire ? Comment agir ? Pourquoi une gamine de 17 ans n’en finit pas de hurler, de s’insulter, de se taper sur la tête et de se scarifier les bras ? Pourquoi cette adolescente de 16 ans pleure et ne veut plus qu’on lui dise ce qu’elle doit ou non faire ?
J’étais déboussolée, agissant sans trop savoir si ce que je faisais était bien ou voué à l’échec. Discussions, réactions, interventions, jusqu’à sanctions, si tant est qu’une ado réagisse à une quelconque sanction… Bref ! C’était difficile, compliqué, il y a eu pas mal de pots cassés, de dommages collatéraux que je comprendrai quelques années plus tard, des cris, des pleurs. La panoplie complète, mais je crois pouvoir dire qu’en dépit de erreurs commises, les miennes en l’occurrence, nous n’avons pas lâché pas prise, ni elles qui voulaient se sortir de leur carcan de mal-être mais se sentaient démunies face à cette immensité de vie qui les submergeaient, ni mon conjoint et moi-même qui tentions de ne pas baisser la garde.
Ça, c’est pour le contexte. Durant cette période, j’avais besoin de comprendre, d’analyser pour tenter de trouver un fil conducteur, un chemin à suivre. Au boulot, j’en parlais à mes collègues les plus proches, quasiment des amis. Je leur racontais mes difficultés, les comportements excessifs, les situations impossibles.
Quelques mois passèrent, jusqu’à ce que qu’il soit convenu que chaque semaine, j’hébergerai pour une nuit une collègue-amie en télétravail 3 jours sur 2, dont la résidence principale se trouve quelque part en Normandie. C’est ainsi qu’elle fait enfin connaissance avec ma progéniture dont elle a tant entendu parler. Le contact est excellent, les échanges agréables et chaleureux. Le lendemain matin, alors que nous attendons le bus pour nous rendre au travail, la discussion reprend. J’ai hâte de savoir ce qu’elle a vu et ressenti. « Elles sont bien, tes filles. Je ne les imaginais pas comme ça. Je m’attendais à des filles revêches, limite mal polies, parlant mal … Elles sont super».
Je l’avoue, j’ai pris une claque. Pas pour le commentaire qui m’a fait très plaisir. Mais parce que je n’avais jamais eu conscience que je pouvais transmettre une image si négative de mes enfants. Moi, je le sais, qu’elles sont bien élevées, polies, super.
Un autre collègue-ami passe à la maison. Le scenario se répète. Il s’étonne aussi de leur physique. « Je ne m’attendais pas à ça. Elles sont canons, tes filles ». Ben oui ! Je n’ai jamais dit qu’il y avait un problème de ce genre. Je le sais qu’elles sont superbes.
Même sentiment étrange, complétement inattendu. A la réflexion, oui, c’est logique, mais non, je n’y avais pas pensé. La raison est simple. Je n’ai jamais eu ni envie ni besoin de vanter les qualités de mes enfants, je n’ai pas besoin de dire aux autres combien je les aime, combien je les admire, combien je suis fière d’elles, et que même au milieu de leurs turpitudes, elles restent ma plus belle richesse. Bref ! Je suis une fan inconditionnelle de mes trois enfants. C’est viscéral.
Mais, quand tout va bien, surtout quand tout va bien, je ne dis rien, et surtout je ne parle pas de ma famille.
Serait-ce à dire que quand on commence à rechercher une vérité, en en enlevant tous les fards, en ne cherchant pas à édulcorer les actes et les acteurs, on se risque déjà sur le terrain glissant de l’auto-dénigrement ? C’est bien possible.
A un instant t, j’ai eu besoin de parler d’un problème, d’une situation complexe, d’un comportement inattendu, saugrenu, excessif. J’en ai parlé parce que je cherchais une solution, ou parce que je voulais comprendre. Alors oui, le portrait n’était pas flatteur.
Pour le coup, mon lecteur cité plus haut a raison. Les personnes à qui je me suis confiée ont interprété, extrapolé sur les propos tenus, et comme souvent on s’en tient à la première idée qu’on se fait, bilan, on part parfois sur une mauvaise base.
Ça peut s’apparenter à de l’auto-dénigrement. De la même manière qu’en plaisantant sur moi-même, je donne une image de moi, disons, négative, restrictive… Quand j’ai parlé de mes enfants et des difficultés que nous rencontrions, j’ai donné une image d’eux peu flatteuse, et même pire que ça, puisque ça a activé des réflexes selon des critères établis et souvent moralisateurs, du style une ado agressive va forcément mal tourner, une gamine au style vestimentaire voyant, provoquant, est une future délinquante. La rebelle ne réussira jamais ses études. J’en passe, et des meilleures !
Vous allez me dire que ce n’est pas de l’auto-dénigrement. Pourtant si ! Dans les faits, cela revient au même. J’aurais pu, peut-être même aurais-je dû, enjoliver la situation, en prévenant que oui, il y a des soucis, de nombreuses inquiétudes, mais que ça n’empêche pas que mes filles sont super, géniales, et tata et tata et tata… Peut-être même l’ai je fait et n’ai-je pas été entendue ? C’est aussi possible, mais réellement, tout cela m’aurait barbé au-delà de tout, ça ne m’intéresse pas de devoir user de tant de subterfuges affectifs pour obtenir une oreille attentive. Certes ça aurait été la vérité, mais pourquoi devrais-je justifier des comportements ? Pourquoi devrais-je montrer patte blanche ? J’ai un problème, j’en parle. Tu m’écoutes, tu me conseilles et je t’en remercie, mais je n’ai aucunement besoin de ton jugement et de tes a priori.
La boucle n’en finit pas de tourner sur elle-même, car c’est à ce moment que vous pourriez vous dire que mes amis-collègues qui se sont forgé cette image de mes adorables et insupportables adolescentes ne sont pas de bons amis-collègues. C’est toujours le même schéma, mais pour arrêter ce cycle infernal, je vais juste rajouter que non, c’étaient d’excellents amis-collègues et que j’ai compris leur erreur d’interprétation. Finalement, je m’en suis même très bien sortie car en tant que mère, j’ai reçu, par le fait, des compliments qui me sont allés droit au cœur et ont fait énormément de bien à mon ego.
L’auto-dénigrement peut effectivement mener d’emblée à une mauvaise interprétation. Il vaut mieux savoir jouer avec et en mesurer les limites, sinon être prêt à en accepter les conséquences.
Je ne parle pas ici bien sûr d’auto-dénigrement lié à un complexe, à une douleur, à un traumatisme quelconque. A ce niveau, les racines prennent naissance dans la sous-évaluation de soi, la mésestime. C’est autrement douloureux pour qui la subit et ne peut pas contrôler un sentiment d’échec, ou pour le moins l’impression de ne jamais faire bien. C’est terrible.
Je réfléchis ici sur la capacité d’auto-dénigrement motivé par une volonté d’humour, de cynisme ou de caricature, avec la faculté de remise en question, car il est là, le curseur de réalité, la jauge d’exactitude : dans notre capacité à nous remettre en question.
Il faut être stable, lucide, intelligent, pour accepter de se remettre en question, même si on sait, surtout si on sait qu’a priori, on a raison ou pour le moins on n’a pas tort, même si on est sûr de soi. C’est peut-être là le summum de la prétention. Etre tellement sûr de soi, qu’on peut même se remettre en question. Se savoir assez intelligent pour n’avoir pas besoin d’esbrouffe et n’avoir pas peur de poser les questions les plus simples.
Finalement, un pendant de l’auto-dénigrement est peut-être qu’il est une expression de modestie tout droit sorti d’un univers de présomption. Voilà c’est dit !
Pas de complexe, pas de malaise, juste l’expression d’idées spontanées ou réfléchies, sans présomption, sans pédanterie. Juste du naturel avec le sourire en plus !
J’ajouterai un dernier élément, purement factuel, concret, sur ce sujet des bienfaits de l’auto-dénigrement.
Il est une situation que bon nombre de femmes connaissent bien. Le couple va mal, la femme en parle à sa copine, elle lui décrit le conjoint, en d’autres termes, elle raconte tout ce qu’elle reproche à son conjoint, « il a fait ceci », « il a fait cela », « il n’y a pas moyen qu’il fasse ça bien », « il est toujours en train de râler »… Bref, un portrait complet sans brosse à reluire. Avec souvent le commentaire qui va avec : « J’en ai marre. Il faut que ça s’arrête, je vais le quitter ». Il y a presque toujours ce moment qui arrive quand l’amie qui écoute finira pas donner son opinion : « Tu as raison. Si tu es malheureuse, quitte-le » jusqu’au jugement fatal : « C’est un c…, il ne fait rien pour toi, il te tire vers le bas »… Je ne vous sors pas le catalogue complet, vous voyez où je veux en venir. Presque systématiquement, cela générera ce moment où la femme réagira par un « Tu sais, il a quand-même de bons côtés », et là on touche aux confins de la peur du dénigrement. En général, à ce stade de réponse, c’est souvent que la séparation d’avec le conjoint n’est pas encore prête. Le dénigrement du conjoint effleure la remise en question de soi, l’inévitable regard lucide sur sa propre réalité, l’obligation de prendre une décision : si t’es pas bien, barre-toi !, sauf que dans la réalité, ça s’avère plus compliqué que ça. De fait, la femme passe la marche arrière, calme le jeu et reprend ses cartes. « Finalement il a des bons côtés »… jusqu’à la prochaine fois.
Curseur de réalité. Jauge d’exactitude. Pas si évident que ça que d’appréhender sa propre réalité en se servant de cet outil à double tranchant qu’est l’auto-dénigrement !
Oui ! Viva le journal d’une conne !
Versailles, Vendredi 10 Novembre 2023